C’est l’histoire du passage d’un âge tendre à celui qui nous mène tout droit vers la vie d’adulte. De ces moments empreints d’innocence qui peu à peu s’ouvrent à la prise de conscience d’une existence, celle qui ne dépendra plus de parents protecteurs ou de copains de classe complices, mais de ses propres choix et des belles rencontres qui jalonneront son parcours.
Mon parfum de l’époque ? Bonne question. Certainement quelque chose de peu marquant, et peu important. J’ai souvenir de « Vanille Bourbon » et « Pomme Cannelle », deux créations signées Jean Laporte (avant la scission avec le futur Artisan Parfumeur), que je portaient petite fille. J’aimais celui de mes parents, « KL » de Lagarfeld pour elle, « Aromatics Elixir » de Clinique, pour lui. Et mon premier contact avec un vrai parfum de femme fut un concrete de « Cinabar » d’Estée Lauder, offert par ma mère. Mais jamais, jamais je ne pensais que parfum et féminité pouvaient être liés.
L’année de mes 15 ans, donc, je partais pour un court séjour à Hammamet, en Tunisie, dans le cadre d’un stage musical. A l’aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle, je me balade au duty-free, et décide de dépenser quelques sous confiés par mes parents pour mes loisirs. C’est en me dirigeant vers le stand parfumerie que d’un coup, l’envie de succomber à la tentation m’est venue. J’avais plusieurs fois admiré une magnifique publicité pour un nouveau parfum, et son évocation visuelle était loin d’être classique. On y voyait une femme « baguée » de flacons, un visage très sensuel et mystérieux. Le flacon, d’ailleurs, sort de l’ordinaire : du verre pourpre, emballé dans un packaging vert émeraude. Des couleurs tellement peu familières de mon environnement…
« Poison » ne m’a pas quittée durant toute la semaine. Il intriguait mes compagnes de chambre, qui ne portaient même pas de parfum, mais surtout, il déclenchait chez les garçons une réaction toute nouvelle : sourires, paroles échangées, invitation à se balader sur la plage ou à danser ensemble lors de nos quelques soirées en discothèque. Pour la première fois de ma vie, je regardais ailleurs et autrement, et le garçon n’était plus cet être idiot et transparent, mais finalement une personne fortement agréable quand on prenait le temps de s’y intéresser.
La question, pour m’aborder était souvent la même : « c’est quoi ton parfum ? », pour les plus courageux. Les autres prenaient parfois l’excuse de nos instruments respectifs pour glisser finement une allusion à cette fragrance qui ne ressemblait à aucune autre aux alentours. Et quand je répondais, fière de mon parfum de dame, revenait toujours la référence à cette fameuse publicité, qui à priori n’était pas passée inaperçue.
Aujourd’hui, bien sûr, je sais que c’est la troublante et magique tubéreuse qui fut la cause de tous ces émois. Une fleur beaucoup admirée en parfumerie, souvent moins portée qu’elle le pourrait, car encore intimidante, voire trop provocante. Je me souviens avoir ri après avoir lu qu’aux Etats-Unis, certains restaurants interdisaient leur accès aux femmes portant « Poison », comme on le fait aujourd’hui pour les fumeurs. Cela n’est heureusement jamais arrivé en France !
Pourquoi cette envie de vous parler de « Poison » ? Car jusqu’à l’an dernier, il était sagement rangé au rayon des souvenirs. Puis, une envie de le sentir à nouveau s’est présentée, et là, terrible, je découvert qu’il n’est plus distribué qu’avec parcimonie. Je m’interroge et pose la question à plusieurs vendeuses de différentes parfumeries : Dior n’a pas renouvelé les stocks depuis longtemps, et peut-être que… J’avoue que cela m’a fait un choc: le parfum qui m’a fait devenir femme disparaitrait? J’ai donc écrit un long mail à Dior, passé le message à quelques amies passionnées de parfum pour en avoir le cœur net. Finalement, pas d’arrêt, mais un ralentissement. Je n’ai donc pas hésité une seconde : je me suis racheté un flacon, désormais rangé au côté de « Carnal Flower », des Editions Frédéric Malle, et de « Tubéreuse Criminelle », de Serge Lutens. Car non seulement ce parfum m’a fait aimer devenir femme, mais il m’a également fait aimer passionnément la tubéreuse.
Direction artistique : Michelyn Camen
Cet article est en fait ma première chronique écrite pour le site américain CaFleureBon (top 10 des sites de parfums aux EUA). Michelyn Camen, sa rédactrice en chef, m’a demandé d’apporter mon regard sur le parfum une fois par mois (chaque troisième lundi, plus précisément), en me laissant totalement libre dans la rédaction. Merci à elle et toute son équipe de leur chaleureux accueil… Avec, je l’espère, la possibilité un jour de leur rendre une petite visite à New-York.
Pour les anglophones, la version « originale » est disponible en cliquant ICI… Avec tout plein d’articles passionnants de mes désormais « collègues » !
Emmanuelle, ton billet m'a replongé 10 ans en arrière.. pour ma part la révélation est venue bien plus tard (22 ans) avec Shalimar, the révélation
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Ouahh, bluffé par une telle histoire. Pour moi, c'est Héritage de Guerlain. Magnifique, je le portais comme un homme alors que je ne l'étais pas encore tout à fait, fier de cette merveille. Aujourd'hui, il est dans le rayon souvenirs, mais j'aime y replonger de temps à autre, comme pour rappeler de belles sensations.
Quant à Poison, il restera pour moi à jamais lié à mes cours d'anglais au collège, et à cette prof au traits étranges et à la voix d'Amanda Lear à qui il allait si bien !
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@Marie-Pierre : peu importe finalement le moment où cela nous tombe dessus… C'est le souvenir qu'il nous en reste qui est formidable !
@Thierry : ouf, tu ne portais pas cet atroce Drakkar Noir qui a dégoûté nombre de jeunes filles du parfum ! Je ris en tout cas d'imaginer cette prof à la voix d'Amanda Lear… Il va falloir que je fume plus de cigares !
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